christophe petchanatz
klimperei & around / interviews
Pour La Voix des Sirènes, 2010

Entretien avec Christophe Petchanatz co-fondateur en 1985 et membre unique depuis 2002 du projet musical Klimperei. Avec lui nous revenons sur ses 25 dernières (ou premières ?) années d’un parcours discographique riche en collaborations avec d’autres musiciens. Klimperei, « maison de musique fondée en 1985 », alors au début vous vous situiez où à l’époque par rapport aux artistes, groupes, mouvements, scènes… ?

La genèse de Klimperei est une chose un peu étrange : je « faisais », avant de rencontrer Françoise Lefebvre, un groupe quasi-solo, Los Paranos, plutôt électro-pop. Françoise, musicienne, de formation classique, ne goûtait guère ce genre et moi-même commençais à me lasser, à « tourner en rond »… Nous avons donc décidé de vendre tout le matériel (et mes vinyles et des livres) pour acheter un piano et travailler à la composition de pièces (néo ?)-classiques. Je me suis également sérieusement remis au solfège… Les premières pièces datent de 1984.

Nous enregistrions sur un magnétophone à cassettes avec le petit micro intégré et le réglage du niveau automatique. On retrouve quelques-unes de ces pièces sur « When memories began to fade », première cassette, parue chez Underground Productions. Il y eut un peu avant quelques cassettes hybrides avec des titres de Klimperei et de Losp, « Brötchen Et Petits Pains » notamment. Le nom (Klimperei) a été trouvé par Françoise. Il s’agit d’un mot allemand signifiant « pianoter ». Ce mot car il sonne, aussi, nous semblait-il, comme la musique. Dans la même période, notre voisin et ami Laurent Fauconnet, membre épisodique de Los Paranos, nous prête quelques instruments-jouets (xylophone, trompette en plastique, appeaux) et nous intégrons ces sonorités à nos compositions.

Et nous avons à ce moment le sentiment d’avoir trouvé quelque chose… et de produire une musique en parfaite adéquation avec notre sensibilité.
Peu de temps après Éric Chabert de Underground Productions me fait découvrir Pascal Comelade. La parenté est indéniable — et accidentelle.

Mais, la « situation » dans le paysage… Revuiste et musicien, j’appartenais à un solide réseau, très actif (où tout se faisait à la cassette et à l’envoi postal), Los Paranos avait sa petite notoriété et j’étais en contact avec certains musiciens « underground » ayant participé aux compilations Lapin et autres, sur UP toujours… (compilations cassettes parues sur le label Underground Productions à la fin des années 80 avec Klimperei, Laurent Fauconnet, Jean-Louis Costes, De Fabriek, Denier du Culte, Pierre Bastien…).

Ceci étant mes goûts étaient — et restent — assez éclectiques, rock glitter, prog, classique, krautrock…


Quels étaient les supports (disques, cassettes…) et les moyens (concerts, radio, fanzines…) utilisés par Klimperei au début pour la diffusion musicale ?

La cassette ! envoyée par la poste ! Quelques participations à des compilations vinyle… pas de concerts, beaucoup de presse dans les fanzines, oui. Les cassettes étaient publiées sur de « petits » labels fort sympathiques — dont quelques-uns existent toujours…


Puis ensuite on a l’impression que tout est allé très vite avec l’arrivée de l’ordinateur, du cd, puis un peu plus tard internet… Quel regard portes-tu sur ces changements ?

J’ai souvenir de la première fois où un projet fut discuté par mail plutôt que par courrier, avec un label italien ou portugais… En une demi-journée nous étions d’accord sur tout ; auparavant, entre le temps postal et les incompréhensions réciproques (chacun utilisant un anglais approximatif) cela prenait quelques semaines, voire des mois…

Le premier CD, publié en 1992 chez le défunt label AYAA, qui réalisait un travail formidable pour la diffusion des musiques marginales, disons, ceci par l’entremise de Peter Moreels (label cassette Corrosive Tapes) a été un moment crucial dans l’histoire de Klimperei. À partir de ce point-là, la « visibilité », la reconnaissance, la notoriété ont été bien plus importantes… et cela a considérablement facilité la suite, je pense… Le mail, les sites web, les blogs, le transfert de fichiers, bien sûr. Aujourd’hui mes collaborations avec d’autres musiciens se font presque toujours via internet et échange de fichiers… Ajouter à cela les technologies d’enregistrement numérique, d’une souplesse et d’une qualité formidable, à des prix accessibles…


Je trouve qu'une collaboration entre musiciens doit aussi être le fruit d'un "vivre ensemble", de liens amicaux par exemple, d'expériences communes... Les collaborations à distance peuvent parfois manquer d'authenticité, de cohérence, qu'en penses-tu ?

Certes, mais ça n’est pas toujours facile. Pour des tas de bonnes mauvaises raisons. Distance, agenda, voire compatibilité en termes de rythme ou méthodes de travail. Je ne pense pas que la nature de la collaboration (à distance ou pas) impacte forcément sur la qualité ou l’intérêt du travail. Les deux CDs Frank Pahl / Klimperei à mon sens en attestent (parmi d’autres, dont certains à venir) tant — au-delà de la proximité, de la familiarité (au bon sens du terme) — ce travail en profondeur, d’abord d’écoute (ah, il a fait ça comme ça… tiens, j’aurais fait autrement, etc. une affaire d’artisans, finalement), puis par petites touches (ou parfois à coups de machette, selon) d’ajouts, ou de coupes, vous immerge dans le travail de l’autre — honnêtement, il m’arrive de ne plus savoir qui a fait quoi sur certains morceaux. C’est — fusionnel. Ce travail de bénédictin (je travaille de plus en plus comme ça, par toutes petites séquences) serait à mettre en regard à certaines séances (jam) fort plaisantes, certes, mais pas toujours satisfaisantes, finalement, musicalement parlant. On rejoint ici d’ailleurs mon « problème » avec le live… À distance, en différé, ça me convient tellement…


Aujourd’hui, pour les artistes et les labels également, la diffusion de la musique est un élément important, plus que dans le passé ou les labels par exemple étaient moins nombreux, produire un disque était plus coûteux, qu’en penses-tu ?

Peux-tu préciser ce que tu entends par « diffusion » ? La mise en vente des produits (CD, DVD…) ou proposer l’écoute (radio…) ? Les labels n’étaient pas moins nombreux je crois et la production à l’époque cassette n’était pas onéreuse… Un vinyle, oui, c’était quelque chose…


J'entends par "diffusion", la distribution et la promotion d'un disque afin qu'il puisse être écouté et/ou acheté.

La distribution — pour les musiques plutôt confidentielles — a toujours été un problème, mais aujourd’hui, via internet, il est infiniment plus facile de trouver et/ou écouter — quasiment n’importe quoi. Et même (et surtout ?) — autre intérêt de l’internet — des raretés anciennes…

En revanche, la réelle promotion (pas le buzz, mais le travail de fond) reste difficile, et sans doute même davantage car le handicap, me semble-t-il, est la quantité de l’offre… Comment se distinguer ? Je pense que les bons relais restent les chroniqueurs, les blogs avec un contenu rédactionnel sérieux, qui ont su se trouver et fidéliser un lectorat attentif.

Par ailleurs, l’écart entre les groupes ou musiciens qui donnent des concerts (parfois beaucoup) et ceux qui ne le font — ou ne le peuvent — pas est assez sensible aussi. Pour ma part, comme chacun sait, ce n’est pas tout à fait mon truc… ce qui sans doute cantonne quelque peu Klimperei dans la confidentialité.


Pour revenir à la quantité de l’offre, c’est vrai qu’aujourd’hui on a parfois l’impression qu’une vie entière ne suffira pas pour découvrir tous ces disques. Alors entre consommer de manière compulsive ou dire à un moment stop… Que faire ? C’est triste tout cela non ?

Non. Il faut d’abord en prendre son parti. Imaginons qu’il s’agisse de vin. Collectionner toutes les bouteilles du monde (sans même y goûter) ? ou boire chaque jour la même chose… ? Il y a de la marge entre ces deux extrêmes. N’oublions pas que la musique s’écoute et se réécoute. Se redécouvre. On le lasse de certaines choses, on y revient. On les perçoit autrement. J’en suis — aussi — à ce point avec la lecture : je relis beaucoup. Pour les « nouveautés » (qui souvent n’en sont pas) je me laisse porter par les conseils avisés de ceux qui me connaissent — et par le hasard.


Internet (mais pas uniquement j’en conviens), c’est aussi la mort des disquaires indépendants non ? quand tu as commencé dans les années 80, c’était des lieus importants pour la distribution, les rencontres… ?

Pour moi pas tellement. C’était une époque où je rencontrais peu, très peu… Pour Klimperei tout ou presque se passait via les réseaux des fanzines ou des labels indépendants, en VPC.
En revanche, j’ai un souvenir ému et reconnaissant d’un certain magasin de disque d’Annecy, Music Old’s, je crois, où l’on m’a fait découvrir des choses capitales, notamment en prog et en kraut.
C’est dans ce magasin qu’à la première écoute de « Rock Bottom », au casque, j’ai eu les larmes aux yeux.


Toujours par rapport à cette abondance de musique, effectivement internet est un outil efficace pour se faire connaître, tu évoques en particulier les chroniques et les blogs.

On peut parler aussi de la presse écrite musicale qui reste abondante, tout comme les maisons d’éditions spécialisées dans la publication de livres sur la musique. 


Néanmoins certains pensent que tout cela reste malgré tout une affaire de réseau, de ville, voir de copinage. Qu’en penses-tu ? Vois-tu une évolution durant ces 30 dernières années ? 


Réseau, certainement (ce qui ne veut pas dire copinage) ; ville — me référant à ma propre expérience — non, pas du tout. Pour Klimperei c’est plutôt Nulné profétan sompéï.
L’évolution ( ? ) éventuellement perçue relève plutôt de la disparition de bon nombre de labels indépendants (cassette — souvent) avec qui j’avais plaisir à faire des choses, l’obstination admirable de certains (In-Poly-Sons, Musea, par exemple), et des initiatives, partout, souvent (Jardin au fou, Monster K7, HAK, La Voix des Sirènes… et tout ce que je ne connais pas…). 


Le milieu musical indépendant, aussi "underground" soit-il, n'échappe pas aux tendances, phénomènes de mode, buzz... pourtant il semble que tu as toujours été à contre-courant depuis le début de Klimperei, qu'en penses-tu ? Quel regard portes-tu sur l'évolution de la place d'un artiste comme Klimperei dans ce milieu ?     
Quand un artiste comme Pascal Comelade a acquis une certaine notoriété, en as-tu profité indirectement ?

Je n’ai pas souhaité être « à contre courant ». Musicalement, Klimperei est particulier, mais pas révolutionnaire au point d’être incompris ou rejeté. Le fait de ne pas (ou très peu) donner de concerts est très probablement « handicapant » ; ceci étant j’ai eu le plaisir de voir Klimperei cité dans des ouvrages tels que L’Underground musical en France de Éric Deshayes & Dominique Grimaud. Une sorte de notoriété discrète s’est installée, due aussi au stupide entêtement qui est le mien : résister.
Je me souviens de la visite, dans les années 90, de plusieurs groupes ou journalistes japonais : Harpy, Club Lunatica, Sputnik… où j’ai très clairement eu le sentiment d’appartenir — déjà — au cercle des « grands anciens ». Impression — curieuse, dira-t-on.
La notoriété de P. Comelade n’a pas nécessairement « profité » à Klimperei en particulier, mais au genre (toy-music, enfantines, etc.) en élargissant — un peu — le cercle, en réduisant — un peu — la confidentialité…


Selon toi, être un artiste ou un label indépendant aujourd'hui, cela signifie quoi ? Est-ce possible ? Qu'en était-il auparavant ?

Je ne répondrai pas pour le côté label, car je n’ai pas d’expérience en la matière. Être un artiste « indépendant » est et a toujours été très facile, finalement : il suffit de se donner les moyens de faire ce qu’on veut faire, d’aller où on veut aller d’un point de vue artistique (et non commercial, évidemment). Concrètement ? Je travaille (je suis aide-soignant à domicile, après quelques emplois divers). Je ne gagne pas ou très peu ou parfois seulement ma vie avec la musique. Je fais de la musique lors de mes « temps libres ». Je m’organise pour disposer de temps. Et je faisais la même chose il y a trente ans.


Nombreux se veulent indépendant, en dehors du "système" si on peut dire, mais pourtant beaucoup ne rechigneraient pas à être reconnus par ce même système si l'opportunité se présentait, alors peut-on considérer qu'être indépendant est un acte politique ?

Soyons clairs : nombreux se la jouent « artistes maudits », marginal. C’est très commode : si ce que je fais n’intéresse personne, c’est parce que le reste du monde n’y comprends rien — ou ne le mérite pas. Ce sont des fadaises et ça m’agace.
Lorsque j’ai eu l’occasion de faire « copains comme cochons », disque pour enfants, avec les éditions Milan, j’ai été ravi, d’autant que j’étais au chômage. Un livre disque, tiré à 5000 ex., sauf erreur, disponible partout, un concert de promo au Réservoir (avec les amis : Mme Patate, Ayerbe, Fenech, Perreaudin, Frajerman), de la vidéo sur le net, de la presse nationale…  Idem pour les quelques commandes TV que j’ai pu avoir… Et je ne me suis pas senti « dépendant » une seconde, d’autant que le label (ou le réalisateur) m’avait sollicité précisément pour la spécificité Klimperei…


Tu n'as jamais été trop concert donc ? Pourquoi ?
J’aime composer. Travailler par essais – erreurs, par petites touches, à mon rythme, dans mon antre, seul. J’aime vraiment ça. Les concerts (d’autant que les concerts étaient improvisés) me coûtent une énergie considérable et je suis rarement satisfait. Je ne suis pas fait pour ça, je crois.


Aujourd'hui il est difficile de vendre des disques, mais trouver des organisateurs et des salles pour jouer, surtout pour les musiques en marge, ce n'est pas évident non plus, qu'en penses-tu ? Ce fut toujours le cas ?
Je ne sais pas, trop peu de pratique en la matière. J’avoue que les quelques concerts de Klimperei (et ses amis) ont été sollicités par des labels ou des associations.
Exception : à Lyon, l’excellent Grand-Guignol (événements musicaux organisés par la librairie Grand-Guignol à Lyon http://guignols-band.blogspot.com), qui a toujours répondu présent chaque fois que j’ai souhaité expérimenter quelque chose live…


Est sorti récemment un livre au Camion Blanc intitulé "ATEM 1975-1979", il regroupe des articles et interviews parus dans le fanzine "ATEM" à la fin des années 1970,  ce dernier défendait les "musiques de traverses" de l'époque. Le Camion Blanc finit la présentation de cet ouvrage par la phrase suivante : "Trente ans plus tard, ATEM 1975-1979 permet de nous replonger dans l’âge d’or de la musique…"
Es-tu nostalgique de cette époque ?

Nostalgique non, mais ce fut une sacré belle période pour qui était curieux et à l’affût de musiques innovatrices. Ça a ouvert des portes ; elles sont toujours là, et toujours ouvertes. Mais il est certain que ce fut pour moi une éducation musicale à la fois désordonnée, intellectuellement passionnante et terriblement touchante.
 

Quelle signification donnes-tu à cet engouement pour les disques d'hier ? En témoigne le nombre grandissant de labels spécialisés dans la réédition.

Je crois que ces vague musicales (la musique progressive, le krautrock) ont eu de la chance, aussi : les genres étaient bien délimités (et peu nombreux), les groupes « phare » bien identifiés, très spécifiques. L’offre n’était pas pléthorique. Mais suffisante. C’est sans honte aucune que j’avoue écouter encore la musique des 70’s. Pas seulement ça, loin de là, mais ça aussi.


Tes travaux d'écriture et musicaux sont-ils complémentaires ou deux choses bien à part ?
C’est à part si l’on considère la forme, et le « fonctionnement » d’un texte par rapport au « fonctionnement » d’un morceau (qu’on réécoute beaucoup plus souvent qu’on ne relit un texte, qui permet plusieurs voix simultanées, dont le sens est nettement moins didactique et surtout, qui n’a pas besoin de traduction !) ; ceci étant, pour moi, il s’agit sans conteste du même univers. Complémentaire ? je ne sais pas ; une autre façon de dire, sans doute…


Par rapport à notre discussion sur la musique, peux-tu faire des parallèles avec le milieu de l'édition ou est-ce différent ?

C’est différent, je crois. Je trouve, et surtout j’ai trouvé, au moment où je fréquentais assidûment et simultanément les réseaux fanzines, graphzines, revues et musique, que le réseau « poésie » est le plus fermé, le plus ancré sur des sensibilités de chapelles… J’ai trouvé ça compliqué, et assez — j’allais dire irrationnel — déplaisant parfois, disons. Mais, ceci étant, j’ai beaucoup publié en revues, jadis, et certaines furent très accueillantes et stimulantes.
Il y eut une époque où le parallèle était plus sensible : revues photocopiées, musique sur cassettes… Ça a changé. En revanche, il y a davantage de mix musique/écriture… Comme par exemple la revue « d’ici là » éditée par la plateforme internet « Publie.net » où se mélangent image, texte et son.


Pour terminer un petit mots sur tes projets pour cette fin d'année ?

Bon je vais oublier des choses, c’est sûr…
• sortie imminente du vol.2 Frank Pahl / Klimperei chez Jardin au fou, France
• un cd avec Dominique Grimaud, tout à la guitare électrique, à paraître chez Acidsoxx, USA
• les volumes 4 et 5 des IWM (improvisations with myself), thèmes : 4 – « los paranos » (morceaux du début des années 80 revisités) ; 5 – « de quelques directions » (avec un morceau dédicacé à ELP, Egg, Triumvirat & Gentle Giant), chez In-Poly-Sons, France
• un cd avec David Fenech, qui est quasiment terminé
• un cd en préparation, lente, chez Novel Cell Poem, Japon
• un travail en cours avec GNG (France)
Pour la fin d’année, ce sera tout…


Le mot de la fin ?

Juste cette joie parfois : le mot d’un(e) inconnu(e), par mail, qui me dit avoir été touché(e), ému(e) par tel morceau, tel album… De même que la musique, en tant qu’auditeur, a, à certains moments, changé ma vie, peut-être de façon infinitésimale, peut-être davantage, penser que je puisse ajouter une petite bricole tendre ou curieuse au monde me comble. Et sans doute cette idée de laisser un petit quelque chose, une trace, un message au futur, dans une bouteille… J’y pense parfois.