christophe
petchanatz
klimperei & around / interviews
DÉCOUVERTE
Les rêveries
sonores d’un duo lyonnais discret ici, culte par-delà chez
nous : Klimperei, la musique qui fait “glin-glin”
D’une
discrétion qui confine à l’anonymat à Lyon,
où ils vivent, où ils se sont rencontrés il y a
vingt ans, Christophe et Françoise Petchanatz font l’objet
d’un véritable petit culte au pays du Soleil levant avec
leur groupe Klimperei et sa musique naïve, ludique, un peu folle.
“Apparemment, au Japon, ils aiment n’importe quoi :
Mireille Mathieu et le hard-rock, alors pourquoi pas Klimperei?
Sérieusement, je crois que cela correspond au même
goût que les Japonais peuvent avoir pour la musique
française en général. Non, je n’en sais
rien”, tente de comprendre Christophe, bricoleur stakhanoviste de
pièces musicales minimalistes et enchanteresses.
Déroutantes.
Écouter
Klimperei, qui publie ces temps-ci disque après disque et
enchaîne les projets à tour de bras (notamment avec le
groupe... japonais Harty), c’est accepter d’entrer les yeux
fermés et les esgourdes délestées d’a priori
dans un univers étrange et chimérique où se
superposent aux belles dissonances mi-pop mi-ambient comme
échappées d’un conte d’Edgar Allan Poe la
quête illusoire d’un monde enfantin. “Notre musique
plaît aux gamins, assure Christophe. Ce n’est pas une
musique qui en jette, pas très grand public, même si
j’aimerais bien que les filles me sautent dessus dans la rue.
Klimperei, c’est de la petite musique. On n’a pas de cahier
des charges: on fait ce qu’on veut”.
Klimperei,
en allemand, signifie “pianoter”. “On ne voulait pas
un nom anglais, ni français d’ailleurs. Klimperei,
ça sonne comme la musique”. Soit, mais c’est
à dire? “Ça fait glin-glin! Voilà”.
Ni
Christophe ni Françoise n’ont réllement
baigné dans un environnement familial mélomane.
Contrainte, Françoise s’est essayée dans sa
jeunesse au piano avec, pour ses parents, “l’idée
bourgeoise de voir leur fille pratiquer un instrument noble”.
Christophe, lui, a rapidement quitté les bancs des écoles
de musique: “ça m’a vite cassé les pieds
parce qu’on ne touchait pas d’instruments”.
C’est peut-être dans cet académisme refoulé
de la découverte de la musique qu’il faut trouver les
clefs des partitions de bric et de broc de Klimperei, nimbées
d’une folie douce semblable à ce que peut
dégager un Syd Barrett ou un Aphex Twin - on notera que les
ambiances musicales sont diamétralement opposées, encore
que...
“En
gros pour moi, un morceau tient la route si tu peux le jouer au piano
seul ou à la guitare seule, avoue Christophe qui dit rechercher
une part d’“inconfort” dans ses compositions. On ne
fuit pas la facilité pour autant. Une petite mélodie
simple qui te rentre bien dans la tête, ça fonctionne
bien. Regarde Bowie, c’est hyper simple comme musique et
ça marche.”
Ce n’est sûrement pas du
côté du chanteur de Life on Mars que l’on
s’aventurera pour trouver des références aux ovnis
sonores que sont les pièces fragiles et chancelantes du duo
lyonnais. On pense plus facilement à la rencontre dans le jardin
d’Eden de Nino Rota, Satie, Kurt Weill en filigrane pour
l’aspect cabaret burlesque et, inévitablement, Pascal
Comelade, leader incontesté sur le marché français
de la musique dérangée et de la ritournelle inclassable.
Comme lui, Françoise et Christophe, anachorètes
surproductifs, animent leur musique via l’utilisation
d’instruments-jouets (trompette en plastique ou autres).
“Comelade,
on l’a découvert après, précise Christophe
qui par ailleurs vient de former Los Paranos, un groupe de rock qui
contrairement à Klimperei est voué à la
scène. Effectivement, j’aime bien ce que fait Comelade,
continue-t-il, mais il n’y avait pas de notion de
s’engouffrer dans un créneau. Et puis, ce n’est pas
vraiment un créneau très porteur (rires). C’est
évident qu’on est dans le même univers. Ce qui est
agaçant, c’est qu’il y a souvent cette idée
qu’on l’aurait suivi. Du coup, personne ne soucie de la
musique. L’étiquette suffit. Mais il y a des
différences entre nous. Sur certains disques, il n’y a
rien de “comeladien”. Ce que fait Comelade, c’est
très homogène. Nous, on a tendance à
s’étirer, de la pop à la musique
contemporaine.” Il paraît que Pascal Comelade évite
soigneusement Klimperei, fait comme si sa prolifique œuvre
n’existait pas: “Il a l’air assez susceptible.
Peut-être a-t-il peur que l’on marche sur ses
plates-bandes? Enfin, ce n’est pas très
intéressant. Mais une collaboration avec lui ne nous
gênerait pas”.
Le
succès d’estime rencontré par Klimperei depuis une
dizaine d’année a été possible à la
faveur d’un premier opus, Tout seul sur la plage en hiver, sorti
sous la houlette du label underground Ayaa. “C’était
extrêmement flatteur pour nous. Ensuite, les choses se sont
faites plus facilement”. Voisin de Pierre Bastien, avec qui il
déconstruit sur la compilation No More No Mouroir le classique
Une souris verte, le duo a développé une kyrielle de
collaborations diverses et variées. Notamment avec
l’Américain Franck Pahl, ancien leader mythique de Only A
Mother. Ensemble, ils ont publié Music For Desserts.
Parmi
la pléthore de disques qui sont sortis ces derniers mois, la
plupart chez In Poly Sons (“le label inattendu, sempiternellement
pataphysique”), il y a ce superbe hommage à Robert Wyatt,
créateur génial de Matching Mole dans les années
1970. Klimperei y opère une relecture fidèle dans
l’émotion de Sea Song. “Sa tristesse est pour moi
poignante, confie Christophe. Rock Bottom, le sommet de Wyatt, fait
partie des trois ou quatre disques que j’emmènerai sur une
île déserte avec les Suites pour violoncelle de
Bach”.
Fabrice Arfi 2002